Les fours à chanvre

Tiré de http://www.saosnois.com/thoigne/fours a chanvre.htm , site aujourd’hui inaccessible
Textes de Monsieur Roger Malassigné, Maire de Thoigné. (confiés le 20/02/2000, merci, merci aussi à MP Gesland pour les illustrations)

LE CHANVRE

Introduit très tôt 6ème – 7éme siècle la culture de ce chanvre a connu son apogée en 1850-60 176 000 hectares en France, 13 000 en Sarthe et il est vrai le déclin a été progressif et continu, personnellement j’ai arrêté de « broyer » le chanvre en 1957 et d’en cultiver en 1960-61. Mais à dire et réaffirmer: le chanvre, bien sûr, c’était cette plante fascinante, un peu étrange mais comme l’a écrit un écrivain poète, c’était plus. Il y avait l’aspect culturel : cette ambiance, cette convivialité, le travail en commun, l’entraide très poussée. Et un point que je ne cesse d’évoquer et d’affirmer: un souci presque inné d’un travail de dualité, surtout de ceux qui terminaient le broyage du chanvre, je l’ai écrit et je le répète :ces gens là petits exploitants ou ouvriers agricoles, qui, sans écoles spécialisées, ni remises à niveau, étaient devenus des experts dans ce travail de précision, ils « ciselaient » en fait leurs paquets de chanvre. Alors ce chanvre? Cette petite graine ronde « le chènevis » on la confiait au sol les derniers jours de mai, premiers jours de juin. Un sol que l’on avait soigneusement préparé, 3 ou 4 labours espacés bien sûr, mais le dernier avant le semis était un événement, on se levait très tôt, changeait les attelages de chevaux (il n’y avait pas encore de tracteurs) et on se dépêchait pour avoir les conditions idéales: la crainte qu’un orage (et on a l’impression qu’à cette époque, il y en avait plus que maintenant) vienne durcir, forme une croûte sur cette terre si meuble et là, la petite graine aurait du mal à percer et résultat; une graine sur 3 ou 4 levait et cela faisait une tige de chanvre très grosse, contenant trop d’écorce, ce qui ne nous satisfait pas. Et après : quelqu’un l’a écrit et même chanté avant nous: on n’avait plus qu’à regarder pousser cette plante. Sont cycle ? Oh ! Cent jours, quelquefois moins si le temps était favorable. On pouvait commencer à arracher dès les derniers jours d’août plus souvent début septembre. Là branle bas : les arracheurs étaient le plus souvent des extérieurs des fermes, notamment les maris dont les femmes tenaient les commerces : café(s) (il y en avait pas mal dans ce temps là dans nos bourgs,) épiceries etc..

J’ai même un souvenir très précis: des femmes « Parisiennes repliées » chez nous en 1939, les maris mobilisés, qui pour subvenir aux besoins de leurs enfants et d’elles mêmes se sont mises à arracher du chanvre. Et bien des années après, je salue encore leur courage. Car c’était dur pour les habitués … alors ! pour les autres. Arracher ce chanvre c’est vrai que c’était dur, mais c’était aussi « un coup à prendre » surtout pour lier les poignées arrachées qu’on appelait « bassons » et qui étaient disposées par douzaines et chaque soir, on comptait ces douzaines, car ce travail était payé à un tarif spécial et à la douzaine. Il y avait de véritables spécialistes de ce genre de travail, certains étant dans le champ à 5-6 heures du matin.

Dès qu’un certain nombre de douzaines étaient prêtes, la main d’œuvre habituelle de l’exploitation mettait à l’eau.., On formait une « doitée » ou « tuilée » un ensemble de 50-60 douzaines composant une forme de radeau. La difficulté étant là de commencer cet ensemble surtout en rivière car dans les lieux proches des rivières,

c’est là qu’on allait par exemple dans la région de Vivoin-Beaumont-sur-Sarthe et chez nous, où il n’y avait pas de rivière on avait des mares spéciales pas la mare des canards dans les cours, mais une mare située souvent sur le bord des routes appelée « Douet ou Rouisson« . La tuilée terminée, on l’arrimait et la couvrait de grosses pierres pour que le tout trempe . Alors, ce temps d’immersion? Au tout début, s’il faisait encore chaud, et surtout en rivière, cinq jours suffisaient, avec la saison s’avançant il fallait plus. On se rendait compte en tâtant les tiges et les fibres. Ce « passage » dans l’eau, était tout à fait nécessaire c’était le début de la « scission » entre écorce et fibres (filasse). La sortie de l’eau était un travail pénible. (Il fallait d’abord enlever les pierres) et puis il faut le dire, il y avait l’odeur, cette espèce de pourriture qui commençait. On chargeait les poignées « bassons » dans les tombereaux

(c’était lourd, plein d’eau) on étalait (les gamins et les femmes) sur un pré ou mieux sur du chaume de blé (parcelle réservée à cet effet). Ces bassons : deux formules, dans certains lieux pour que ça sèche mieux, chez nous, on en coupait qu’un, cela avait l’avantage de mieux le manœuvrer, on le changeait de sens au bout de deux jours, ensuite on mettait debout en croix ces poignées, encore par douzaines et ensuite on rentrait le tout quand c’était sec en bottes, toujours une douzaine de bassons, à la ferme et on attendait l’époque de l’hiver pour entreprendre le travail de « broyage » ou « brayage« . Et c’est là qu’on arrive à évoquer nos fours à chanvre… Pourquoi ces fours ? Et pourquoi ? C’est une question qui nous a été posée l’autre jour à une exposition dans un beau site d’une belle petite ville: Sillé-le-Guillaume (au Nord Sarthe) : « Vous nous dites que vous avez rentré le chanvre sec et vous nous dites aussi qu’il faut cependant le faire sécher encore? » Mais oui pour que ce dernier travail de séparation de l’écorce et de la filasse soit efficace. il fallait que ce chanvre soit très sec très chaud. Et c’est pour cela qu’avant de subir cette ultime épreuve du broyage ou ce chanvre se décomposerait : une partie en petites particules appelées « Egrettes » ou « Aigrettes (c’était l’écorce;) et l’autre partie celle qui nous intéressait, les fibres (filasses) si belles, si résistantes, il fallait que le chanvre subisse l’épreuve du feu toute une nuit et cela dans nos fameux fours. Pour une bonne information de tous, nous avons nous mêmes dessinés un schéma, une coupe de four à chanvre, (tout cela distribué, mais je vais en récupérer), il faut cela pour bien comprendre. En gros deux parties dans ces fours : la partie supérieure où on allait emmagasiner, entreposer le volume (toujours en bottes) du chanvre nécessaire à une journée de travail (de ce broyage ou brayage) et la partie inférieure qu’on pourrait (ce serait plus parlant) appeler « chambre de chauffe », où, une nuit entière on allait chauffer dur en alimentant une corbeille d’un coke spécial et les deux parties du four étant séparées par une sorte de parquet composé de poutrelles (bois ou acier) reliées par de petites traverses appelées « barrelettes » en coudre ou en châtaignier. Cet ensemble supportant la charge du haut. Faut-il vous rapporter une journée de broyage?

D’abord une particularité : on commençait très tôt ce travail, à six heures au chantier après avoir déjeuné cependant . Il convient aussi de planter le décor: le lieu de ce travail, l’atelier si vous voulez, en fait c’était un hangar, chez nous on disait « la loge à brayer » attenante au four, il en reste de ces loges, mais bien peu, ce qui est regrettable. Les acteurs : cinq personnes, des hommes quelquefois parmi eux. une jeune femme ou jeune fille ou un gamin pour le premier rôle de cet ensemble, on sort les bottes du fours. (çà réchauffe), on délie ces bottes, on refait les poignées qu’on introduit (la première personne) une à une dans un canal de la « broyeuse« . Ce qu’est la broyeuse : un ensemble de jeux de cylindres reliés. Celle-ci happe les tiges, les écrase, j’ai encore ce bruit, ce grésillement dans les oreilles. Cette machine est actionnée par un moteur (avant c’était par un manège tourné par un cheval). Cette poignée (de chanvre) est réceptionnée à l’arrière de la machine par un autre ouvrier on l’appelait, excusez le terme « le tire au cul » mais ce qu’il réceptionne a bien changé l`écorce écrasée tombe en petites particules « les aigrettes« . Il reste les fibres qu’il faut bien secouer pour faciliter le travail des derniers acteurs. La mission de ceux-ci ? Finir de nettoyer la filasse la « carder », la torsader, la présenter en beaux paquets ! Pour cela, de prime abord, on se servait de « braies »

expliquer une braie (Voir photo ci-contre): un genre de chevalet monté sur pattes avec un support, un élément plus large comportant des lamelles d’acier (avant elles étaient en bois spécial) une partie mobile mais équipée comme l’autre, et en rabattant cette partie, on râpait la poignée de filasse, un coup à prendre là encore ! Complétant le travail de la broyeuse un « nettoyeur », appareil conçu et fabriqué par des entreprises de machines agricoles de « chez Nous » à Courgains « La Silger » œuvre des établissements Berterault, à Marolles-les-Braults : les « Vaurs » du nom de son inventeur etc. La phase ultime de toute cette opération, était, je l’ai déjà évoqué, mais J’y reviens la présentation en beaux paquets bien torsadés de cette filasse devenue si souple et là ces ouvriers y mettaient tout leur cœur, tout leur savoir-faire. Il faudrait encore dire, expliquer que plus plusieurs fois par jour, il fallait interrompre ce travail pour nettoyer « le chantier » car l’amoncellement des petites particules (ex-écorce) devenait gênant, il fallait les évacuer, que chaque soir, on s’arrêtait tôt (même si le four n’était pas vide), on remplissait à nouveau la partie haute du foyer on appelait cela « enfourner« , nettoyer le tout surtout le four (la partie de chauffe) de crainte d’incendie et malheureusement il y en a eu, que cette récolte sur laquelle on comptait tant au niveau du revenu, on la livrait quelques mois plus tard (mai ou juin), et la on pouvait admirer le goût apporté à la présentation des charretées de chanvre. Et aux lieux de livraisons, pour nous les gares de Vivoin-Beaumont-sur-Sarthe ou Marolles Les Braults, c’était la fête, une précision qu’il est bon d’apporter.

Il n’y avait pas, du moins dans notre région, de four à chanvre dans chaque exploitation. Ici, « chez Nous » nous broyons la récolte de chanvre de plusieurs exploitations, 5 ou 6, on nous « confiait » cette récolte. On peut difficilement parler d’entreprise, c’était plus de l’entraide, du travail en commun et ce que je puis témoigner, c’est que cela se réalisait dans la bonne humeur et la convivialité.

Une « demoiselle » Corbeille à Coke

Usine de rouissage industriel à Bonnétable


L’Association:

C’est le 12 octobre 1994 à Mamers que notre Association est née. Nous en parlions depuis longtemps, notamment avec Jacques MORICEAU ex Président de l’Office du tourisme (Mamers et Saosnois) chantre du Saosnois …et ex instituteur à Thoigné ! Déjà avec lui nous avions esquissé une « route du chanvre » qui serait allée de Vivoin – Beaumont où il y a le musée du chanvre à Mamers où se trouve l’autre musée du chanvre créé par Mr MORICEAU. A Mamers nous nous sommes retrouvés : un écrivain, des enseignants, des représentants de l’Université, des services de l’Architecture, des Elus, des anciens chanvriers (comme nous) etc. C’est bien lui Jacques MORICEAU qui a été l’instigateur notre association . Association …Hélas! déjà malade à ce moment là, il nous a quitté en 1996 Le fait d’avoir mis le siège à THOIGNE et de m’avoir demandé d’être le responsable de cette Association, tient simplement au fait que Thoigné est sur le parcours et à mi chemin de Vivoin – Mamers. Nous avons défini nos, objectifs (trois) à savoir.

1) Travailler à la sauvegarde et à la restauration des fours à chanvre

2) Viser à promouvoir une action touristique. (et qui peut avoir des retombées économiques)

3) Tenter de relancer, avec d’autres, cette culture du chanvre qui a tant marqué notre Région.

Très vite. nous avons reçu des encouragements (et des études sur les fours et le chanvre ). J’en cite deux qui me sont arrivées quelques jours après la création de l’Association.

– Une étude remarquable faite quelques années avant par les élèves d’un instituteur de « La Perrière » commune de l’Orne (proche de la Sarthe). Ces gosses ont réalisé un travail extraordinaire sur le chanvre en faisant notamment témoigner une femme déjà âgée (bien oui) mais qui avait comme petite employée de ferme (de l’Assistance Publique) fait tout le travail du chanvre.

– En même temps d’un Monsieur de 80 ans ex Maire d’une commune prés du Mans (Degré) une étude sur les origines et le travail du chanvre aussi très remarquable. Nous avons assez vite, pensé à recenser ces fours, et pour cela, on nous a proposé la collaboration d’étudiants du C.U.E.P. (Centre Universitaire d’Études du Patrimoine). Ces étudiants (surtout étudiantes) étant ou plutôt préparant le diplôme de « Formation à la connaissance et à l’Exploitation du patrimoine« . C’est une jeune femme qui était avec nous à la fondation de l’Association et connue à l’Université du Maine qui nous a permis cette collaboration.Nous avons rencontré ces jeunes (3 jeunes femmes) et leur avons expliqué ce que serait leur rôle sur le terrain, avons mis au point un questionnaire (avec elles et leurs professeurs) et puis vite nous nous sommes dits : « Comment vont réagir ces jeunes femmes, arrivant dans des lieux inconnus, ne sachant même pas ce qu’étaient des fours à chanvre? » Et (je suis fier de moi) , j’ai pensé à solliciter les Aînés (membres des Clubs) souvent ex paysans, en même temps d’ailleurs que nous sollicitions aussi les Maires et secrétaires de Mairies je dois dire que le résultat a été assez remarquable : les Aînés prévenant avant les propriétaires des fours accueillant les étudiantes et les pilotant. Une collaboration Aînés que l’on voudrait voir s’instaurer ailleurs. Et chaque année, nous changeons d’équipe d’étudiants avec des fortunes diverses, mais les deux dernières équipes 96-97 et 97-98 étaient remarquables. Celle qui vient de nous quitter (4 jeunes femmes et un garçon) était extraordinaire. Nous devons être à 400-430 tours de recensés. Il faut souligner que le chanvre (donc les fours à chanvre) n’a jamais concerné de grandes superficies (je parle en Sarthe mais c’est vrai aussi pour la France). En Sarthe. notre région : les cantons de Beaumont – Mamers, Marolles-les-Braults (le mien), Ballon un peu Fresnay – Sillé autour du Mans – Conlie et une petite région à la terre très riche « Le Bélinois » 07 communes au sud du Mans. Nous devenons connus, et avons été médiatisés par FR3, et interviewés par les radios locales etc. Nous tenons une assemblée générale annuelle (lieux différents) et deux ou trois fois par an nous envoyons un bulletin de liaison à nos adhérents (120). Et justement, cette année. nos étudiants ont beaucoup aidé pour préparer et sortir ces bulletins. Et puis, nous nous sommes dits qu’il fallait se préoccuper de restauration Mais qui dit restauration dit moyens financiers. Assez facilement, nous, avons obtenu une subvention (annuelle et reconduite) du Conseil Général et de quelques mairies , puis grâce à notre Conseiller Général ex député, nous avons pu obtenir une aide d’un fonds dit « Fonds de Gestion de l’Espace Rural » mais qui n’a sévi qu’une fois. Nous avons donc choisi les fours dont les propriétaires, bien sûr, acceptaient la restauration mais aussi qui avaient des fours dignes d’un intérêt touristique évident (nous sommes en lien avec les Offices de Tourisme). Cela a supposé des dossiers, un montage financier, les critères retenus : 50% de subvention de ce F.G.E.R., 25% de la communauté de communes du canton. 25% (ce qui est normal) à la charge des propriétaires. Pour la Communauté de Communes, cela a été assez facile, j’y ai une responsabilité de commission. Ce montage et cette attribution simplement pour notre Canton, ailleurs, d’autres formes d’aides mais moins fortes notamment C.R.D. (Contrats Régionaux de Développement). Une aide importante mais qui ne va pas hélas ! se renouveler. Celle de la Caisse Régionale de Crédit Agricole à travers une fondation. Dans quelques jours , nous allons inaugurer le four (celui, fissuré de la photo) que nous avons choisi pour employer cette aide, mais ces bons sponsors, veulent évidement que l’on parle d’eux. Pour la formule première : F. G. E. R., Communauté etc. nous avons pu restaurer 10 fours.(dans notre canton) Cela nous à fait découvrir des artisans (surtout jeunes charpentiers) intéressés par ce travail nouveau et pour eux passionnant. A côté, région Beaumont – sur – Sarthe – Fresnay, un circuit se met en place en collaboration avec  » Le Pays Maine- Normand  » et là aussi des fours vont être restaurés avec l’aide notamment de « l’autre Crédit Mutuel ». On va sans doute me dire et le troisième objectif ? Appui à toutes les formes de recherches, d’innovations pour créer de nouveaux débouchés ? Nous nous en préoccupons, sommes au contact de tous les chercheurs, faisons connaître au maximum tout ce qui se réalise, se découvre et notre satisfaction est grande en ce moment (août 98) avec la masse d’informations qui nous arrive. Et bien sûr, si on parle de fours à chanvre, c’est qu’il y a eu du chanvre: bien sûr, il semble que les sources d’informations convergent pour affirmer que la Sarthe a été le premier département producteur de chanvre.


Additif du 20/02/2000: Cette étude, sans doute encore valable, un peu plus d’une année plus tard, doit être cependant complétée: le recensement des fours, dans le département touche à sa fin; On peut les évaluer à environ 500. A travers des liens que nous avons pu établir avec des correspondants chercheurs, responsables d’entreprises en France et à l’extérieur, nous récoltons beaucoup d’informations sur des utilisations nouvelles du chanvre et de sa graine et ceci dans les domaines les plus variés.

Roger Malassigné